Extrait de son contexte, l’événement pourrait s’apparenter à une insignifiante première pierre d’une banale station-service pour poids lourds si …celle-ci ne délivrait pas du gaz naturel. Rétabli dans l’environnement (politique, juridique, sociétal etc.), cela devient la symbolique de ce qui pourrait être une vraie rupture dans le transport routier : les premiers pas vers une énergie propre sur les terminaux portuaires de Marseille – Fos, là où transitent chaque jour entre 3 000 et 5 000 camions.
« Cette première pierre est symbolique, ne se prive pas de relever le directeur régional de l’Ademe. C’est la première étape en faveur d’un mix énergétique dans le transport. Cette diversification n’est non pas souhaitée mais seulement nécessaire pour des tas de raisons : environnemental, économique, d’indépendance énergétique et cela dépasse le seul cadre français ».
Thierry Lafont était, ce 8 septembre, tout comme Christine Cabau-Woehrel, directrice générale du port de Marseille, Philippe Maurizot, représentant de la Région PACA et Jean-Louis Amato, président de l’ORT (mais aussi PDG de la société éponyme) aux côtés d’Éric Ronco, directeur général de Proviridis, à l’occasion du lancement de la construction de la première station GNV de la région, projet porté par l’entreprise de Rousset. Il en existerait que 5 autres en France, selon le port de Marseille.
D’ici fin 2016, elle offrira aux entreprises du transport routier du GNC (gaz naturel comprimé) et du GNL (gaz naturel liquéfié)*, dont une partie sera approvisionnée avec du biométhane liquéfié (bio-GNL), produit à partir du recyclage des déchets. Alors que les poids lourds sont, selon l’ADEME, le premier secteur émetteur d’oxyde d’azote, le GNL permettrait une réduction très significative des émissions d’oxyde d’azote par rapport à la norme Euro 6 diesel et n’émettrait quasiment pas de particules.
Première station en Paca, sixième de France
Posée sur la zone de services « poids lourds » (42 places de stationnement sécurisés avec des sanitaires et de la petite restauration) du Mât de Ricca dénommé « Aire PL 2XL » en cours d’aménagement par le Grand port maritime de Marseille à proximité des terminaux à conteneurs et de la zone logistique Distriport, l’équipement commercialisé sous le nom de VGAS Drive n’est pour Éric Ronco (photo) que le premier maillon d’un réseau qui couvrira l’ensemble des sites logistiques de PACA (14 stations)* d’ici fin 2018.
« La seule station de Fos n’a aucun intérêt par elle-même. Il faut mailler pour permettre aux transporteurs régionaux d’investir sereinement dans des flottes de véhicules GNV. Car les transporteurs ne vont pas faire 30 km de détour pour aller s’approvisionner ».
Le fournisseur de carburants alternatifs (GNV, hydrogène et électrique), PME créée en avril 2012 par sept ingénieurs et industriels issus du transport de marchandises et de l’énergie, a été retenu en décembre 2015 par la Communauté européenne, dans le cadre du programme Connecting Europe Facility (CEF) for Transport, avec à la clé une subvention de 2,2 M€, couvrant 20 % de l’investissement total requis (autour de 11 M€).
Le coût global de cette première station est, elle, de 1,3 M€, dont 620 K€ apportés par les pouvoirs publics (Ademe, Région, UE), le port assurant l’aménagement du foncier.
Option crédible
Pour Éric Ronco, le GNV est désormais une alternative crédible, technologiquement parlant mais aussi « viable du point de vue économique ».
« Nous industriels, l’écologie sans l’économie, on n’y croit pas. C’est ce qui nous a amenés à opter pour cette solution en particulier car de toutes les technologies, le GNV est à ce jour la seule qui soit à la fois économique et écologique. Cette station pourrait économiser 15 000 t de C02 par an, ce qui représente en valeur (sur le marché, le CO2 aura une valeur certaine à partir de 2020, NDLR) une économie de 1 M€. Et il représente pour les transporteurs une économie à la pompe de 30 % par rapport au diesel ».
Il est tout autant convaincu du potentiel futur du biométhane : « La seule station d’épuration de Marseille pourrait alimenter 200 bus au gaz naturel. Ce n’est pas un rêve : à Lille, la station de recyclage de déchets alimente 100 bus de la ville. À terme, d’ici à 2050, la capacité de production de biométhane pourrait alimenter tout le besoin en GNV et remplacer totalement le diesel ».
Signaux politiques forts
Selon l’Observatoire du véhicule industriel, la puissance des moteurs serait désormais similaire à celle des motorisations diesel avec une autonomie qui s’en approche (700 à 1 400 km). L’offre commerciale s’est étoffée ces dernières années. Pour preuve, « Iveco, gros opérateur sur le marché français, a vendu 50 véhicules la première année, 200 la seconde, 450 l’année dernière et devrait atteindre 800 cette année », mentionne le dirigeant.
Toutefois, au dernier recensement par l’Observatoire, à la mi-2015, une soixantaine de camions utilisant le GNL étaient immatriculés en France. Sachant qu’il n’existait à la même date aucune station publique distribuant du GNL et que les camions au GNL n’ont été homologués en France que fin 2014
La France accuse un retard certain par rapport à certains pays européens, comme l’Allemagne ou l’Italie, où près d’un million de véhicules roulent au gaz naturel.
Les transporteurs routiers ne pourront investir dans des camions dont le prix d’achat est supérieur à celui des véhicules diesel qu’à certaines conditions, indique Éric Ronco, conscient du risque pris sur un projet qui ne sera pas rentable à court terme : « Nous avons besoin d’une visibilité sur le niveau de la fiscalité par rapport à celle du diesel, d’une offre commerciale et de stations. Car sans stations… »
Cadre juridique au vert
Mais les choses changent : un texte de loi, adopté début janvier 2016 (loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015) donne désormais la possibilité de réaliser un suramortissement de 40 % pour les camions au gaz naturel et biométhane et ainsi de compenser en grande partie les surcoûts d’investissements liés à l’acquisition de camions GNV et à l’inexistence de valeurs de revente.
« À ce jour, aucune station GNV pour poids lourds et autocars n’existe en Provence-Alpes-Côte d’Azur, un territoire pourtant considéré comme un carrefour majeur d’échanges routiers sur toute la vallée du Rhône et l’arc méditerranéen », insiste Philippe Maurizot. Le représentant de la Région (élu LR à Fos-sur-Mer) rappelle que « la Loi de transition énergétique du 17 août 2015 et la Directive européenne (DAFI 2014/94/UE) d’octobre 2014 impose à chaque État européen de mettre en place une infrastructure minimale de stations GNV dans le cadre du déploiement des carburants alternatifs. Les schémas de déploiement doivent être réalisés pour fin 2016, et les infrastructures d’approvisionnement devront être garanties en 2025 par un nombre « approprié » de points de ravitaillement : tous les 150 km pour le GNC et tous les 400 km pour le GNL.»
En perspective également : l’interdiction à la circulation de véhicules diesel d’ici 2020 dans les grandes villes.
Enjeu : le foncier
Reste un enjeu de taille : le foncier économique, une des grandes problématiques de la métropole Aix-Marseille-Provence (cf. Il manque 750 ha à la métropole Aix-Marseille Provence ; Comment Aix-Marseille Provence peut sortir de l’impasse foncière).
« On trouve des terrains mais il faut aval politique pour installer nos stations car associées aux poids lourds, personne n’en veut à commencer par les maires », rappelle le chef d’entreprise.
L’événement est aussi à replacer dans le cadre d’une autre dynamique initiée depuis quelque temps, notamment par le GPMM dans le cadre de sa diversification énergétique (s’affranchir du pétrole), et par les acteurs industriels des bassins Est du port : à l’instar des projets Piicto (cf. Écologie industrielle : Les expériences se multiplient sur le territoire Marseille Provence), Vasco (valoriser le CO2, émis par les entreprises industrielles du site de Fos-sur-Mer par culture de microalgues marines), ou encore du démonstrateur Power-to-Gas porté par GRTGaz qui devrait être inauguré d’ici 2018 (cf. Le premier démonstrateur français Power-to-Gas à Fos-sur-Mer)…
Révélation sur Ascométal
« On adore les transporteurs routiers PL mais aussi les modes massifiés fer-fleuve, déclare sa flamme Christine Cabau-Woehrel, à la tête du GPMM. Alors que la voie routière assure à ce jour 79 % des acheminements des marchandises conteneurisées, trafic qui a augmenté de 15 % en trois ans, le trafic routier n’a pas augmenté proportionnellement parce que nous avons développé la part modale (fer : +13 % ; fleuve : +4 % en 2015, NDLR) ». Pour le port de Marseille-Fos, c’est aussi un soutien au trafic de gaz naturel transitant par Fos puisque Proviridis se fournira auprès du terminal méthanier opéré par Elengy à Fos Tonkin.
La stratégie portuaire commence à cumuler un ensemble de projets qui font sens, défend le GPMM et que tendrait à conforter la dernière information révélée par Usine nouvelle il y a quelques jours : Ascometal, déjà associé au pilote Jupiter, envisagerait également disposer à l’horizon 2020 d’une usine de production d’hydrogène sur son site sidérurgique de Fos-sur-Mer.
CCI Marseille Provence